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Emprunt aux langues régionales et étrangères

24 mars 2013 11:29 • Cobra le Cynique


Après le verlan, je vous livre ici le deuxième article consacré aux procédés de formation de l'argot français.

Parmi les sources de l’argot français, on trouve un nombre important de mots empruntés aux langues régionales et étrangères.
Ce phénomène s’est amplifié ces dernières années par ce que les journalistes appellent le communautarisme ou replis communautaire et qui se manifeste notamment dans le langage des jeunes des banlieues par l’apparition de nouveaux mots issus de l’arabe maghrébin et des langues d’Afrique Noire. Replis communautaire apparent compte tenu du fait que ces mots ont transité de leur langue d’origine vers le français argotique, ce qui montre davantage un mélange de culture.
Mais si l’on se réfère au présent lexique, ces langues ne sont pas celles qui ont influencé le plus l’argot français et le langage des jeunes. Dans les domaines du cinéma, de la chanson populaire, de la restauration rapide, de la gestion d’entreprise et de la mode vestimentaire, l’Amérique a de même influencé notre société ; l’anglais, langue parlé par les anglo-saxons dont les américains, est la langue étrangère la plus présente dans la formation des mots d’argot français.

Mots d’argot issus des langues régionales et du vieux français

Si parler le français en France parait être une évidence pour tout le monde, il faut savoir que ça n’a pas toujours été le cas et qu’avant la fin du XVIIIe siècle il n’était parlé que par une minorité de la population. Le français a été imposé à la population par le haut, car avant cela, les gens parlaient les patois régionaux qui étaient leurs langues maternelles et ce jusqu’au milieu de XXe siècle. L’exode rural, le service militaire obligatoire, l’école publique et la volonté de l’État ont fini par imposer le français à toute la population. On retrouve donc tout naturellement dans le lexique argotique un bon nombre de mot issu des langues régionales.

En voici quelques exemples :

balèze « fort », du provençal balès « gros ».
bagnole « voiture », du picard banne « tombereau ».
burne « testicule », du rouchi (patois picard) « nœud (végétal) ».
caguer « déféquer », du provençal cagar même sens.
cramer « brûler », du provençal cramar même sens.
fiacre « postérieur », issu d’un mot du nord-ouest fiaquer « déféquer ».
mouise « misère », mot dialectal de l’est emprunté à l’allemand mues « bouillie ».
saquer « juger sans indulgence », variante picarde de l’ancien mot français sachier « secouer ».

Ainsi que des mots d’argot hérités du vieux français :

bastonner « battre, frapper » issus d’un ancien mot français signifiant « donner des coups de bâton ».
s’empiffrer « manger avec excès » issus d’un mot datant du XVIIe siècle qui signifiait « se bourrer de nourriture ».
entraver « comprendre », issu de l’ancien mot enterver « interroger ».
moyen de moyenner « possibilité d’aboutir à un résultat positif », expression datant du XVIIe sous la forme négative il n’y a pas moyen de moyenner « il n’y a rien à faire ».

Mots d’argot issus du créole

Parmi les langues régionales, le créole est une langue à part. En linguistique, on appelle créole la formation d’une langue qui s’est créé par le contact d’une langue indigène avec une ou plusieurs autres langues généralement indoeuropéenne (français, anglais, espagnol, portugais, néerlandais). Ces langues se retrouvent donc principalement dans les anciennes colonies Antilles, Afrique, Amérique, océan indien. Le lexique argotique compte surtout des mots du créole antillais issu de Martinique, Guadeloupe voire d’Haïti ou de Guyane.

Quelques exemples :

bonda « fesses, postérieur ».
boug « homme ».
en chien « délaissé ».
goumer « battre » de goumen même sens.

Mots d’argot issus de l’arabe maghrébin

Bien que l’intégration de mots arabes dans la langue française remonte au moyen-âge, la plupart des mots argotiques issus de l’arabe remonte quant à eux à la colonisation de l’Afrique du nord par la France (1830-1847, conquête de l’Algérie), puis aux guerres de décolonisations, notamment celle de l’Algérie qui s’est terminée en 1962 par le rapatriement massif en France de populations (pieds noirs, juifs maghrébins et harkis) qui a contribué à l’apport de mots dans le parler populaire français.
Cependant, l’immigration de populations maghrébines pour raison économique débute surtout à la libération où le besoin de main d’œuvre est important et se poursuit après l’indépendance des colonies. C’est de cette immigration que la plupart des mots d’argot moderne issu de l’arabe sont issus. Au début assez marginal, cet apport s’est considérablement amplifié ces 20 dernières années avec la crise et le repli communautaire.

Ainsi, on retrouve des mots assez anciens comme :

se barrer « partir », de barra « dehors »
bezef « beaucoup »
bicot « arabe », de abricot variante francisée de ar’bi « arabe ».
bled « pays »
brêle « imbécile », de brèl « mulet ».
chbeb « homosexuel », de chbeb « beau »
chouf « regarder ».
clebs « chien », de kelb même sens.
crouille « arabe », de khouya « mon frère ».
flouze « argent », de flous même sens.
glaouis « testicule », de klaoui même sens.
kif-kif « pareil ». mesquine « pauvre, malheureux », de meskin même sens.
niquer « posséder sexuellement », de l’arabe classique nakaha « s'accoupler ».
zobe « pénis », de zèb même sens.

Et des mots récents (moins de 20 ans) :

bzèze « sein ».
cheh ! « bien fait ! ».
dawa « désordre », de l’argot algérien da’wa « désordre ».
garo « cigarette ».
kho « frère », de kho « son frère » et qui a aussi donné par déformation gros « ami ».
sbeul « désordre », de sbeul « ordure ».
seum « rage, rancœur », de sèmm « venin ».
rnouch « policier », de khnouch « couleuvre ».
srab « ami, copain ».
tarma « fesse, derrière », de tarma « postérieur ».

Mots d’argot issus des langues d’Afrique Noire

De même que pour l’arabe en provenance de l’immigration des populations d’Afrique du nord, on retrouve des langues en provenance de l’Afrique de l’ouest (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire…) comme le bambara, le mandingue, le wolof ou le soninké mais aussi l’argot ivoirien appelé nouchi qui se répand de plus en plus dans l’argot français.

ambiancer « amuser », du nouchi.
bougnoul « arabe, noir », du wolof bougnoul « noir ».
djèse « affaire, trafic », du nouchi.
enjailler « faire plaisir », du nouchi.
foye rien, du bambara foyi même sens.
go « fille », du bambara même sens.
toubab « blanc, européen », du mandingue toubabou « blanc ».

Mots d’argot issus de l’anglais et de l’argot anglo-américain (slang)

Même si aujourd’hui, l’arabe et l’argot ivoirien sont à la mode dans les banlieues françaises, ils restent malgré tout des langues marginales si l’on tient compte de l’apport de l’anglais et de l’argot anglo-américain dans le langage populaire et argotique. En témoigne l’apparition de récentes nouveautés comme swag mot issu de l’argot américain pour désigner le style comme jadis le mot look ou le mot soin francisation de so in « à la mode ».
Ceci s’explique par l’attrait que la culture américaine produit sur les jeunes d'aujourd'hui notamment au travers du rap (autrefois il s'agissait du rock), musique originaire d’Amérique qui a mit une dizaine d’année avant de s’imposer en langue française. Mais même si cette musique est aujourd’hui pointée du doigt par ceux qui y voit l’expression du model libéral américain qui pousse vers le mercantilisme, la surconsommation, vers l’ostentation des richesses[1] et de la réussite financière principes encore assez éloignés de la culture française, il est difficile de nier son influence sur la jeunesse et son langage…
À l’instar de tous les anglicismes présents dans le français, les mots anglais se retrouvent dans l’argot sous différentes formes.

Les mots avec leur sens d’origine :

comme le mot dead, qui signifie « mort » en anglais et qui est employé avec le même sens en français mais aussi dans tous les sens métaphoriques du mot mort dans l’argot français comme « fatigué » (je suis dead), « sans espoir » (c’est dead !).

D’autres exemples peuvent être cités :

strange « étrange »
good « bon, bien »
gun « pistolet »
easy ou izi « facile »

Les mots francisés :

squatter « occuper un endroit », de to squat « s’accroupir »
tripper « absorber de la drogue », de trip « voyage »
bader « angoisser », de bad « mauvais »
kicker « donner un coup de pied, rapper », de to kick « donner un coup de pied »

Les mots de l’argot anglo-américain (slang) comme ceux du milieu toxicomane qui garde le même sens en argot français :

clean « qui ne consomme pas de drogue », de clean « propre »
joint « cigarette de haschisch », de joint « articulation »
shit « haschisch », de l’anglais vulgaire shit « merde »
trip « état du drogué », de trip « voyage »
shoot « prise de drogue », de shoot « pousse »

Les mots anglais pris dans un sens métaphorique :

lose ou loose « malchance », issu de l’anglais to lose « perdre »
peace « calme, pacifique », de l’anglais peace « paix »
trash « dur, pénible », de l’anglais trash « ordure »
yes « bien, appréciable », de l’anglais yes « oui »

Mots d’argot issus d’autres langues européennes

Parmi les autres langues européennes qui ont donné naissance à des mots d’argot en France, on retrouve toutes celles des pays frontaliers.

Ainsi, on trouvera des mots qui puisent leur racine dans l’allemand :

flic « policier », de fliege « mouche »
chlinguer « puer », de schlagen « fouetter »
chnouf « héroïne », de schnupftabak « tabac à priser »
gastos « restaurant », de gasthaus « auberge »
schmitt « policier », schmied « forgeron »
schneck « vulve, fille », schnecke « escargot »

De l’italien :

barouf « vacarme, scandale », de barouffa, « procès, querelle confuse, heurt »
gonze, gonzesse « garçon, fille », de gonzo « individu stupide »
mandale « gifle », de mandolino « coup de pied »
mariol « malin », de mari(u)olo «voleur»
picoler « boire de l’alcool », de picolo « petit vin de pays », issu de piccolo « petit »

De l’espagnol :

barbaque « viande », de barbacoa « gril servant à rôtir la viande ou viande grillée »
casquer « payer », de caxa « ouvrir la caisse »
dingue « fou », de dengue « fièvre paludéenne »
gode « godemiché », de gaudamecí « cuir de Gadamès »
marrer « rire », de mareo « ennui »
négro « noir », de negro « noir »
paumer perdre, de l’argot espagnol palmar « donner par force, perdre au jeu »
tchatche « bagou », de chacharear « bavarder »

Mots d’argot issus du romani

S’il est une langue que l’on retrouve beaucoup dans l’argot des truands, c’est la langue des gitans aussi appelé romani. Cette langue principalement orale se décline en plusieurs dialectes dont les principaux sont le kalderash et le sinto.

Ainsi, on retrouve les mots se terminant en –ave qui sont issus de verbes romanis conjugués à la première personne du singulier :

marave « battre, frapper », issu de marav « je frappe ».
bouyave « coïter »
bicrave « vendre »
dikave « regarder »

Mais aussi des mots comme :

lové « argent »
vago « voiture », issu de vago « wagon »
racli « fille », issu de racli « fille non tsigane »
surin « couteau », issu de chouri « arme blanche, couteau »

On peut noter que les verbes issus du romani sont souvent invariables même si la forme déclinée peut se retrouver. On trouvera par exemple pour marave les formes : « on l’a marave » ou bien « on l’a maravé ! »

Interaction entre les langues

Un phénomène que l’on peut observer au niveau linguistique c’est la transmission d’un mot issu d’une langue étrangère par le biais d’une autre langue.
Ainsi, on remarquera que le mot tchatche « bagou » est d’origine espagnol mais qu’il est passé par Alger pour venir ensuite s’intégrer à l’argot français. De même schmitt « policier » vient de l’allemand mais il est d’abord passé par le romani avant de venir enrichir le vocabulaire argotique français. On trouve aussi pushka « pistolet », mot d’origine Russe passé aussi par le romani. Le mot mandingue toubabou « blanc » issu de l’arabe toubib « médecin, docteur » (mot présent dans l’argot) a donné toubab pour désigner un européen, de même le mot mandingue go « fille, femme » dérive du mot anglais girl de même sens.

On constate donc que parmi les sources de l’argot français, l’emprunt aux mots étrangers est très important. Le mot emprunté est le plus souvent francisé, utilise le sens d’origine ou un sens métaphorique, sa forme peut être dérivée, influencée par la prononciation, voire aussi verlanisée. La France étant un pays qui accueille un nombre important d’étrangers sur son sol, il faut s’attendre à l’avenir à voir le langage populaire et argotique français évolué et inclure de plus en plus de mots d’origine étrangère[2].

 

Notes

  1. ^ Il est à noter que l’ostentation des richesses n’est pas d’essence purement anglo-saxonne, car on la retrouve aussi très présente dans la culture africaine, notamment dans la mode vestimentaire ou au Maghreb où il est d’usage par exemple de faire des mariages grandioses et souvent ruineux.
  2. ^ Il est intéressant de noter l’absence totale des langues asiatiques dans le langage des jeunes et ce malgré une présence non négligeable de populations chinoises et vietnamiennes.

Commentaires

5 commentaires

Chiregio58

Chiregio58 il y a 10 ans

Très bon article...on constate la richesse de la langue francaise..

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Gilou le Flahute

Gilou le Flahute il y a 10 ans

Etude synthétique claire et bien faite, meilleure en tout cas que les quelques lignes que j'y consacre dans mon bouquin "L'Argot en s'amusant" à paraître le mois prochain. Cobra (pas plus que moi d'ailleurs) n'évoque l'apport du créole, et je me demande s'il n'y aurait pas lieu de le faire.

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Cobra le Cynique

Cobra le Cynique il y a 10 ans

Merci Gilou ! Je me disais aussi que j'avais oublié quelque chose. Je m'attelle à corriger ma bévue...

ASTIER CLAUDE

ASTIER CLAUDE il y a 10 ans

Salut Cobra le cynique !
J'aime bien ton article, j'ai édité un bouquin sur l'argot européen en 6 langues qui risque de t'intéresser. Tu peux voir une version démo avec ce lien :
www.attica.fr/article/argot-eu ... 950735652.
Si tu me donner une adresse je serai heureux de t'en offrir un exemplaire.
cordialement, Claude Astier.






Cordialement

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Yttrium

il y a 7 ans

Je ne suis pas d'accord avec l'étymologie de "niquer" qui est plus ancienne que l'influence arabe selon moi.

J'ai appris en cours de latin que cela venait de "forniquer", bien plus ancien, venant lui-même de "fornix", les arches des cirques romains (comme le Colisée) sous lesquelles, à la fin des spectacles lorsque la foule avait en majeure partie déserté les gradins, des prostituées retrouvaient leurs clients.

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